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Quand nous étions ainsi arrêtés quelques minutes, je connaissais que cette fille farouche aux hommes jusqu’ici, commençait à penser à l’amour. Le sang de sa race parlait dans ses yeux, lorsqu’elle me dévisageait hardiment et me toisait des pieds à la tête, sans point de gêne, comme elle aurait admiré un beau cheval. Je comprenais bien ça, et j’en étais quelque peu mortifié ; mais comme, de mon côté, c’était la belle et crâne fille qui me tentait, je ne faisais pas trop de compte de ses manières.

Dans ces moments, en la regardant, il me prenait des envies sauvages de me jeter sur elle, et de l’emporter au fond des taillis épais comme fait un loup d’une brebis. Elle le voyait bien à mes yeux qui luisaient, à ma voix qui s’étranglait, à tout mon être qui frémissait ; mais elle ne s’en émouvait pas autrement. Si la chose était arrivée, je ne sais pas trop comment ça se serait arrangé, car elle n’était pas de ces filles qui par faiblesse, ou par bonté de cœur, se laissent aller à celui qu’elles aiment. C’était une de ces rudes femelles qui se défendent des ongles et des dents, rétives à la maîtrise de l’homme encore qu’elles le désirent, et, jusque-là, veulent encore commander.

L’hiver se passa ainsi, dans ces tirassements entre la passion qui me tenait, et ma volonté qui reprenait le dessus lorsque j’étais hors de la présence de la Galiote. Pendant la mauvaise saison, je n’avais pas d’ouvrage aux champs, mais