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à peine frayés souvent, tout à fait perdus quelquefois. Je marchais devant la Galiote, écartant une branche d’églantier, l’avertissant de la rencontre d’une flaque d’eau ; et lorsqu’une cépée courbée par l’orage barrait le chemin, je la relevais pour la laisser passer. Au bout de trois quarts d’heure, le sentier débouchait du bois dans une lande d’où l’on voyait les vitres de la métairie où elle habitait, luire faiblement dans la nuit.

— Vous voici rendue, à cette heure.

— Merci, Jacques, me dit-elle d’une voix claire, en me regardant fixement ; merci.

Je la contemplai un instant, l’enveloppant tout entière d’un regard ardent, et je fus au moment de lui répondre : « Je voudrais vous avoir sauvé la vie ! », mais je me retins :

— Adieu, mademoiselle !

Et, tandis qu’elle s’éloignait, je rentrai dans le bois.

Pour m’en retourner, je m’en fus passer au Jarry de las Fadas, et, quand je fus en haut du tuquet, je m’assis au pied de l’arbre. La lune se levait rouge, sanglante, sur l’horizon, et montait lentement, sinistre dans le ciel noir. Je la regardai longtemps, fixement, en songeant à la Galiote, en me faisant des reproches de n’avoir pas été plus ferme. J’avais des remords d’avoir fait taire en sa présence la haine que j’avais pour elle et les siens. C’était bien malgré moi, car sa vue inattendue m’avait troublé au point de me faire