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de son chapeau ; l’odeur de la marjolaine me rappelait le brin qu’elle avait à la bouche ; dans les sentiers sur la terre fraîche, je retrouvais l’empreinte de son petit pied ; enfin, le silence et la solitude, tout me parlait d’elle, sans compter le sang bouillant de la jeunesse. Malgré ça, je résistais toujours, et j’avais même la force de ne pas aller chasser aux environs de l’Herm, pour ne pas la rencontrer de nouveau. Mais quand le diable s’en mêle, comme on dit, on est pris du côté où on ne se méfie pas.

Un mardi, à la vesprée, je revenais de Thenon où j’avais été vendre un lièvre et une couple de lapins, et je marchais vite, parce que le temps menaçait. L’air était lourd et étouffant ; les genêts sauvages, chauffés par le soleil, exhalaient leur odeur âcre ; des roulements de tonnerre se succédaient, après de longs éclairs qui déchiraient le ciel. Un vent brûlant poussait des nuages noirs, roussâtres, courbait les taillis et balançait en l’air les hauts baliveaux. Les oiseaux, effarés, rentraient de la picorée aux champs s’abriter sous bois. Les mouches plates se collaient sur ma figure, terribles comme des poux affamés, et autour de moi les taons tourbillonnaient enragés.

« Jamais plus je n’arrive assez tôt ! » me disais-je en regardant le ciel.

Et, en effet, à deux cents toises des Âges, de grosses gouttes commencèrent à tomber, s’aplatissant dans la poussière du sentier d’où mon-