Page:Eugène Le Roy - Jacquou le Croquant.djvu/399

Cette page a été validée par deux contributeurs.

maître de ma volonté et ça me rassurait : mais bientôt j’eus une terrible secousse.

Un dimanche que je chassais dans la forêt, entre les Foucaudies et le Lac-Nègre, tandis que mon chien suivait la voie d’un lièvre, à la croisée de deux sentiers dans le taillis, je me rencontrai avec la Galiote. Elle marchait lestement, suivie de sa chienne, son fusil sur l’épaule, l’air crâne, la mine assurée. Elle avait des culottes de coutil, des guêtres de toile qui lui prenaient le mollet, une grande blouse plissée, en cotonnade rayée, à ceinture lâche, et un chapeau de feutre gris dans lequel elle avait piqué une plume de geai. La large courroie de la carnassière passant entre ses petits seins les faisait ressortir fermes et libres sous la légère étoffe. Je m’arrêtai coup sec en la voyant, comme suffoqué par une sensation brûlante, et lorsqu’elle passa, les joues rosées, l’œil brillant, un brin de marjolaine entre ses lèvres rouges, je sentais mes tempes battre avec bruit.

Elle passa fière, en me jetant un coup d’œil dédaigneux, et moi, je restai là tout capot, sans trouver une parole, la regardant s’éloigner de son pas léger et cadencé.

Cette rencontre aggrava ma situation. J’étais comme un homme qui a une épine enfoncée au profond de la chair, et qui, à chaque mouvement, ressent un élancement douloureux. Tout me rappelait la Galiote : un geai criard s’envolant à mon approche me faisait penser à la plume