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était sa mère nourrice, couchant dans une chambrette sur un mauvais lit, mangeant comme les autres de la soupe de pain noir, des châtaignes et des milliassous ; dans la journée elle courait les bois, son fusil sous le bras, en compagnie de sa chienne. Avec ses allures de pouliche échappée, de toute la famille c’était la seule qui valût quelque chose. Elle était bien fière aussi, comme les autres ; mais tandis que ses sœurs plaçaient mal leur fierté, en continuant de mener une existence de dissipation, même aux dépens de leur liberté ou de leur honneur, elle, préférait une existence dure et paysanne à leur vie de sujétion ou de désordres. Les autres étaient tellement têtes fêlées, qu’elles n’avaient pas compris ça ; aussi, lorsque la Galiote leur avait annoncé son intention, les moqueries ne lui avaient pas manqué :

— Et alors, te voici devenue une vraie Jeanneton ?

— Il ne te manque qu’une quenouille !

— Et tu te marieras avec Jacquou !

« Tu te marieras avec Jacquou !… » Cette moquerie dérisoire qui me fut rapportée en riant fort par la sœur de lait de la Galiote, ramena ma pensée sur elle. Je me rappelai l’émotion que j’avais ressentie en l’emportant hors du château, et je restai tout songeur. Certainement, je crois bien que tout garçon de mon âge, vigoureux et sain comme moi, eût été troublé comme je l’avais été en sentant se mouvoir et se tordre