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attachés sur la masse des bois sombres, comme si la Lina allait en sortir. Puis, me reprenant, je crachais dans mes mains et je me remettais à cogner.

Mais l’homme est homme. Lorsque la mort de celle qu’il pensait garder toute sa vie à ses côtés et aimer jusqu’à son dernier jour, lui a arraché la moitié de son cœur, il croit de bonne foi qu’il ne survivra pas à cette perte. Il lui semble que la disparition de celle-là est un malheur irréparable qui touche, non seulement lui, mais le monde entier. Cependant, à la longue, lorsqu’il voit les choses suivre leur cours ordinaire ; qu’après l’hiver le soleil montant au ciel inonde la terre de lumière et de chaleur ; que, tout autour de lui, la vie afflue dans le sol fécond ; que les oiseaux font leur nid ; que les amoureux se recherchent, il subit l’influence des choses qui l’environnent ; il se sent revivre avec la nature, et peu à peu la peine s’amortit, le souvenir s’efface, et la chère image, crue impérissable, qui, aux premiers jours, apparaissait nettement comme une pièce toute neuve, s’affaiblit dans la mémoire, et devient moins distincte, comme l’effigie d’un vieil écu usé par le frai.

Ainsi étais-je. Avec le temps, mon chagrin était moins amer, ma peine moins lourde à porter. Au lieu d’une douleur aiguë et pleine de révoltes, je me sentais glisser dans une tristesse résignée. Non pas que j’aie jamais oublié celle