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verrou. Oh ! le châtiment de cette mauvaise mère était en bon chemin.

Dans la semaine, j’étais nécessairement distrait un peu de ma peine par le travail ; mais ce n’était pas sans que, de temps en temps, le souvenir de ma pauvre Lina me revînt soudain comme un coup de couteau. Il me fallait bien gagner quelques sous, car le peu qu’avait le vieux Jean n’aurait pu nous nourrir tous deux. En eût-il eu cent fois plus, d’ailleurs, que je n’aurais pas voulu vivre en fainéant à ses dépens. J’avais donc recommencé ma vie ordinaire, travaillant le bien, faisant des journées par-ci par-là, et vendant quelques lièvres, ou une couple de perdrix le mardi à Thenon. Puis, quand l’hiver fut là, je pris du bois à faire dans une coupe devers Las Motras. C’était l’occupation qui m’allait le mieux, car on était seul. Le matin, je partais, emportant dans mon havresac un morceau de pain noir avec quelque petit fromage de chèvre, dur comme la pierre, un oignon et une chopine de boisson que j’avais fabriquée avec des sorbes. Je cheminais par les sentiers, faisant craquer la glace sous mes sabots dans un pas de mule, ou poudroyer sur moi le givre des grands ajoncs et des hautes fougères, lorsque je traversais les fourrés pour couper au court. Toute la journée seul dans les taillis, je coupais du bois, m’arrêtant des fois, dans un moment de ressouvenance, et, appuyé sur ma hache, je regardais fixement devant moi, les yeux