Page:Eugène Le Roy - Jacquou le Croquant.djvu/371

Cette page a été validée par deux contributeurs.

— Tu aurais dû te faire soldat ! tu as la bosse du métier.

— Ma foi, monsieur Fongrave, j’ai tiré un bon numéro et je n’ai point eu envie de m’enrôler ; j’aime trop ma liberté.

Ensuite, en causant de notre défense, il me dit qu’un grand nombre de gens de l’Herm et des villages voisins étaient cités comme témoins à décharge, et qu’il espérait que les dépositions de toutes ces victimes du comte pèseraient sur la décision des jurés.


Le jour qu’on commença notre procès, c’était le 29 juillet 1830. Il y avait grande rumeur dans le palais, et les avocats et tous les curieux conféraient des nouvelles de Paris qui annonçaient la révolution. Les témoins appelés par le procureur étaient le comte, ses filles, et tous ceux du château : personne autre n’avait rien vu. Dans une affaire où beaucoup de gens sont mêlés, c’est rare qu’il n’y ait pas quelque gredin acheté à bons deniers pour trahir les autres ; mais ici rien de pareil, nul ne broncha. Le Nansac me chargea fort, ainsi que dom Enjalbert qui raconta tant de choses, qu’on eût cru que lui seul savait tout ce qui s’était passé. Il m’impatienta tellement que je finis par lui dire :

— Et comment avez-vous pu voir tout ça, étant caché derrière un coffre dans le grenier ?

Tout le monde s’esclaffa de rire, ce qui lui coupa totalement la parole.