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son métier, et il me posait quelquefois des questions à double tranchant comme un couteau de tripière, d’où j’avais quelque peine à me démêler. Lorsque ça m’arrivait, je faisais le niais, celui qui ne comprend pas, pour me donner le temps de réfléchir. Les autres, eux, ne savaient rien, n’avaient rien vu, rien entendu, sinon les cloches sonnant au feu, qui les avaient fait accourir à l’Herm. Enfin, voyant qu’il ne tirait pas grand’chose de nous, le juge finit par nous laisser tranquilles et grabela son affaire tout seul.

Quoique nous ne fussions pas trop mal là, je m’y ennuyais fort, car, comme le disait le chevalier, « il n’y a pas de belle prison, ni de laides amours », et de plus il me tardait d’être jugé. Aussi fus-je content, lorsqu’un matin le geôlier nous réveilla de bonne heure.

— Vous partez pour Périgueux, dit-il.

Quand nous fûmes prêts, il nous donna à chacun un morceau de pain ; puis les gendarmes vinrent qui nous attachèrent deux à deux.

Au moment où nous partions, la fille du geôlier accourut, et me dit :

— Que Dieu vous garde ! je vais faire brûler un cierge pour vous autres.

Et, en disant ça, elle me regardait, les yeux mouillés, et de telle façon que je connus que c’était pour moi qu’elle parlait ainsi sous le couvert de tous.

Ça me toucha au cœur :