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s’y passait. Un soir, comme nous finissions de souper, Jean et moi, je le vis arriver :

— Tous les messieurs qui étaient au château sont partis ; le fils du comte s’en est retourné à Paris, à ce qu’il paraît. Il n’y a plus maintenant que le comte, les demoiselles, le chapelain, les gardes et les domestiques.

— Ah ! fis-je en me levant, le jour est donc venu ! Voici, garçon : tu vas courir à La Lande et au Mayne, et tu diras à François de chez le Bourru et au grand Michelou de répéter mon coup de corne lorsqu’ils l’ouïront. Ensuite de ça, tu iras te cacher aux abords du château, et quand, ayant fait le tour des fossés, tu verras que toutes les lumières sont éteintes, tu viendras me retrouver à la Peyre-Male : tiens, bois un coup et va.

Et, lui ayant donné un plein verre du vin qui nous restait de celui que le chevalier avait envoyé, le drole l’avala d’un trait, passa sa main sur ses babines et repartit courant.

Sur les neuf heures, je pris le fusil de Jean, le mien ayant disparu lors de mon affaire, et je m’en fus tout droit au plateau de Peyre-Male. C’était vers la fin du mois de mai. Il avait plu dans la journée ; de gros nuages noirs glissaient lentement dans le ciel, cachant les étoiles, et la lune était couchée, de sorte qu’il faisait très brun. Je marchais doucement, calculant en moi-même comment il fallait s’y prendre pour réussir.