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envoyé prévenir le chevalier, et j’étais sûr que celui-ci se remuerait pour me retrouver. Je supposais bien que leur première idée serait que le comte de Nansac m’avait fait disparaître ; mais ils pouvaient croire qu’il m’avait fait jeter dans le Gour, une pierre au cou comme un chien, comme tant de cadavres de malheureux assassinés par des brigands et dont les squelettes maintenant gisent dans ses profondeurs insondables. Pour lui, pour sa sûreté, c’était bien le mieux ; oui, mais si le comte tenait à se défaire de moi, il tenait encore plus à me faire souffrir une mort très lente et angoisseuse. Comment donc Jean et le chevalier auraient-ils imaginé que j’étais emmuré au plus profond d’une tour de l’Herm, dans une oubliette qu’ils ne connaissaient sans doute pas ? C’était difficile ; et, d’autre part, j’étais bien certain que le comte avait pris toutes ses précautions pour qu’en cas de recherches au château on ne pût me retrouver.

Cette terrible pensée d’être enterré vivant me poignait tellement que, les tortures de la faim aidant, je ne dormais pas. Devant mes yeux enflammés par l’insomnie, des visions étranges flamboyaient. Il me semblait voir des palais de feu, des paysages lumineux, passer dans l’obscurité et se succéder lentement. Pour échapper à ce supplice, j’essayais de fermer mes yeux, mais toujours devant mes paupières abaissées, brûlantes, passaient des mirages douloureux, où montaient lourdement des vapeurs phosphores-