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d’avant, elle avait pleuré en me contant toutes les misères et les peines qu’elle avait à supporter, et ce souvenir me faisait passer dans la tête des folies, comme d’assommer ce misérable ou de nous enfuir au loin tous les deux, Lina et moi ; mais la crainte d’empirer sa position me retenait.

Regardant l’avenir, je le trouvais rempli de cruelles incertitudes et de désolantes obscurités ; et puis, reportant ma pensée en arrière et songeant à la fatalité qui semblait poursuivre notre pauvre famille, je me remémorai mes malheurs, la mort de mon père aux galères, et celle de ma mère dont, à cette heure encore, mon cœur saignait. Et remontant plus haut, je pensai à mon grand-père, jeté dans un cachot pour rébellion envers le seigneur de Reignac et incendie du château, délivré au moment où il attendait la mort, par le coup de tonnerre de la Révolution. Et toujours me remémorant le passé, je me souvins de cet ancêtre qui nous avait transmis le sobriquet de Croquant, branché dans la forêt de Drouilhe, par les gentilshommes du Périgord noir qui poursuivaient sans pitié les pauvres gens révoltés par l’excès de la misère. Alors, plein de rancœur, reliant, par la pensée, les malheurs des miens avec ceux des paysans des temps anciens, depuis les Bagaudes jusqu’aux Tard-advisés, dont nous avait parlé Bonal, j’entrevis, à travers les âges, la triste condition du peuple de France, toujours méprisé, toujours