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fois que nous nous aimerions jusqu’à la mort, quoi qu’il pût arriver, j’embrassai une dernière fois ses beaux yeux humides, et je m’en fus à travers les bois pour n’être pas vu.


Les choses allèrent ainsi quelque temps : Lina toujours ennuyée, prenant patience pourtant, moi toujours tracassé de la savoir malheureuse. Malgré ça, je cherchais à gagner ma vie pour ne pas être à charge à ce pauvre Jean, mais ce n’était guère le moment de trouver du travail. Voyant ça, comme Jean avait quelques quartonnées de terre autour des Maurezies, restées en friche parce qu’il était trop vieux pour les travailler, je m’y embesognai, et, n’ayant pas de bétail, je les labourai à bras, et je les ensemençai, quoiqu’il fût un peu tard. Puis l’hiver vint, le mauvais temps, et le travail cessa tout à fait. Alors je m’ingéniai à trouver les moyens d’apporter quelques sous à la maison. Ayant rencontré, un jour, à une foire de Rouffignac, un homme qui avait entrepris une fourniture de bois de bourdaine, que nous appelons pudi, dont le charbon sert à faire la poudre, je me mis à en couper pour son compte. Mais le jeanfesse ne me le payait pas cher, et il me fallait bien me galérer dans les fourrés et faire bien des petits fagots pour avoir un écu de cent sous. Aussi ma principale ressource fut la chasse.

Par les temps de neige, le soir tard, ma lanterne sous ma blouse, ma palette sous le bras,