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gros morceau de pain, et je fis une bonne frotte, en ménageant le sel qui était cher en ce temps-là. Ayant fini, je bus un coup d’eau au godet et il fut question d’aller se coucher. Le lit de Jean était mauvais, car il n’avait qu’une paillasse bourrée de panouille de maïs et puis de feuilles de bouleau pour les douleurs, et par-dessus une couette ; mais il était très large, presque carré, comme ces lits anciens où l’on couchait quelquefois quatre, et je dormis là comme un loir en hiver.

Le lendemain, je m’en fus rôder autour de Puypautier pour tâcher de voir Lina, épiant de loin le moment où elle mènerait ses bêtes aux champs. Lorsque je la vis sortir de la cour, chassant ses brebis et sa chèvre devant elle et tournant vers la grande combe, au-dessous du village, j’allai me cacher dans un bois avoisinant, le long duquel il y avait un talus plein de buissons, de prunelliers et de vignes sauvages, où elle vint se mettre à l’abri du vent. De ma cache, je la voyais filer sa quenouille, levant les yeux de temps en temps, pour s’assurer que ses bêtes ne s’écartaient pas. Quelquefois elle lâchait de filer, laissant pendre la main qui tenait le fuseau, et paraissait songer tristement. À ses pieds, son chien était assis, surveillant le troupeau, et, à quelques pas d’elle, sa chèvre, dressée contre un gros tas de pierres ou cheyrou, couvert de ronces, broutait activement en agitant sa barbiche brune. Le lieu était