Page:Eugène Le Roy - Jacquou le Croquant.djvu/225

Cette page a été validée par deux contributeurs.

tique se le faisaient promener depuis la hanche jusqu’au talon, par-dessus la culotte ; mais, des fois, des vieilles, percluses de douleurs, qui n’avaient pas peur de montrer leurs lie-chausses ou jarretières, se le fourraient sous les cottes, ayant fiance que le frottement sur la peau avait plus de vertu. Ah ! il en voyait de belles, le pauvre diable de saint !

Quand je dis qu’il en voyait de belles, c’est une manière de dire, car il n’avait pas d’yeux, pas plus d’ailleurs que de nez et de bouche. Depuis des siècles qu’un curé adroit avait inventé ce saint, il avait tant frotté de bras, de jambes, de cuisses, d’épaules, d’échines, de côtes, de reins, qu’il en était tout usé. Comme ces marottes de carton qui servaient jadis aux modistes de campagne pour monter leurs coiffures et qui, à force d’avoir servi, n’étaient plus que des boules de carton éraillées où l’on ne voyait plus ni traits ni couleurs, le malheureux n’avait plus figure de saint, ni même d’homme. Ses bras, ses jambes, ses pieds, ses mains, sa tête, tout cela avait tellement frotté qu’on n’y connaissait plus rien, qu’on n’y distinguait plus aucune partie du corps ni de la figure ; tout était confondu sous l’usure. Ça pouvait être aussi bien une vieille borne déformée par les roues des charrettes, rongée par les pluies et les gelées, qu’une statue mangée par des siècles de frottements. Mais ça n’ôtait rien à la foi des pauvres gens désireux de guérir : on se dispu-