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parler comme à un petit drole en l’embrassant. Au matin, harassée de fatigue, elle s’assoupit un peu, et moi, la voyant ainsi, je crus qu’elle allait mieux ; mais, lorsqu’elle se réveilla en sursaut avec une longue plainte, je vis bien que non. Sa respiration devenait de plus en plus pénible, précipitée, et la fièvre était si forte que sa main brûlait la mienne. La journée se passa ainsi, et quand revint la nuit, elle ne pouvait plus parler, mais se doulait et s’agitait désespérément. Oh ! quelle nuit ! Qu’on s’imagine un enfant de neuf ans, seul dans une cahute perdue au milieu des bois, avec sa mère agonisante ! Pendant plusieurs heures, la pauvre malheureuse se débattit contre la mort, faisant aller follement ses bras, essayant d’arracher le couvre-pieds, se soulevant tout entière dans les transports de la fièvre, les yeux égarés, la poitrine haletante, et retombant sur le lit, le souffle lui faisant défaut un instant, pour reprendre encore par un pénible effort. Vers la minuit ou une heure, la fièvre cessa, et un bruit rauque sortit de sa poitrine, le rommeau ou râle de la mort ! Cela dura une demi-heure ; j’étais sur le banc près du lit, et, à moitié couché, je tenais la main de ma pauvre mère serrée contre ma poitrine. La connaissance lui revint tout à fait à la fin ; elle tourna vers moi ses yeux pleins d’un angoisseux désespoir et deux grosses larmes coulèrent sur ses joues amaigries et hâlées ; puis ses lèvres remuèrent, le râle s’arrêta : elle était morte.