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Voilà donc ma mère encore une fois sans travail, de manière qu’au bout d’un mois et demi, les quelques sous qu’elle avait amassés furent dépensés. Un jour vint où il n’y eut plus de pain chez nous, ni de pommes de terre. Les châtaignes, il y avait longtemps qu’elles étaient finies ; de graisse plus : nous faisions la soupe avec un peu d’huile rance, tant qu’il y en eut ; dans un fond de sac, seulement, il restait un peu de farine de blé d’Espagne. Ma mère la pétrit, en fit des miques qu’elle fit cuire, en disant :

— Lorsqu’elles seront finies, il nous faudra prendre le bissac et chercher notre pain.

Entendant ça, je maudissais ce comte de Nansac qui était la cause de la mort de mon père aux galères, et qui voulait nous faire crever de misère. En moi-même je répétais ce que j’avais souvent ouï dire à ma mère :

— Le bon Dieu n’est pas juste de souffrir ça !

Si j’avais eu le fusil de mon père, qu’au greffe ils gardaient, je crois que je me serais embusqué dans la forêt pour tuer comme un loup ce méchant noble, lorsqu’il passait à cheval avec ses chiens, l’air froid et méprisant, criant lorsqu’il rencontrait quelque paysan sur son chemin :

— Gare, manant !


En ruminant toutes ces choses pénibles, affolé par la misère, je vins à penser que nous étions