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temps où il ferait bon être bien habillé de bonne bure épaisse, ou de bon cadis bourru, pour se préserver du froid ; mais les pauvres gens sont obligés de passer les mois du gel avec leurs habillements d’été. Nous autres, dans cette baraque où l’eau et la neige tombaient par le trou de la tuilée où le vent s’engouffrait aussi, tuant quelquefois le chalel pendu au manteau de la cheminée, nous n’étions pas trop bien, comme on peut croire ; surtout que nos habillements, toujours les mêmes, usés, percés, n’étaient guère chauds. Aussi, quand vint le printemps, que les noisetiers sauvages fleurirent leurs chatons et que les buis commencèrent à faire leurs petites marmites, il nous sembla renaître avec le soleil. Mais ce n’était pas le tout, il fallait manger, et pour manger, gagner des sous.

Ce qui fait la peine des uns arrange quelquefois les autres. Vers la mi-carême, la femme de Tâpy tomba malade, de manière que son homme manda à ma mère d’y aller pour la soigner, les droles aussi, et tenir la maison. La pauvre femme resta au lit un mois et demi, et, aussitôt qu’elle put se lever, quoique bien faible, il lui fallut reprendre son travail, car Tâpy était un peu serré et même avare, de sorte que d’être obligé de payer une femme pour faire les affaires dans la maison, si peu que ce fût, alors qu’il en avait une à lui, ça le suffoquait ; tellement bien, qu’il en voulait à sa femme d’être malade, comme si c’eût été sa faute, à la pauvre diablesse !