amortissaient, sans que j’y fisse attention, les cruels ressouvenirs de mon pauvre père, et, tous les jours, pendant que ma mère travaillait à Marancé, je courais dans les bois, mangeant une mique ou un morceau de pain apporté dans ma poche, me gorgeant de fruits sauvages, buvant dans les creux où l’eau s’assemblait, car il n’y a guère de sources dans la forêt, et me couchant sur l’herbe lorsque j’étais las. Pas bien loin de Las Motras, il y a, dans un creux, un petit lac appelé le Gour ; on dit qu’on n’a jamais pu en sonder le fond, mais peut-être, on n’a jamais bien essayé. En ce temps-là, le Gour était environné d’épais fourrés, et l’eau dormait là tranquille et claire, ombragée par de grands arbres qu’elle réfléchissait : frênes, fayards ou hêtres, érables et chênes robustes. Il y avait même, penché sur le petit lac, un tremble argenté, venu là par hasard, dont les feuilles frémissaient avec un bruit léger comme celui d’une aile d’insecte. J’allais quelquefois me coucher là, sous les hautes fougères, et quand le soleil commençait à baisser, alors qu’aux environs un mâle de tourterelle roucoulait amoureusement, j’épiais les oiseaux, altérés par la chaleur du jour, qui venaient y boire. Il y en avait de toute espèce : geais, loriots, merles, grives, pinsons, linots, mésanges, fauvettes, rouges-gorges ; ils arrivaient voletant, se posaient sur une branche, tournaient la tête de droite, de gauche, et lorsqu’ils voyaient qu’il n’y avait pas
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