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son antipathie pour lui s’accroissait en raison de la nécessité où elle était de subir ses bons procédés, qu’elle soupçonnait n’être pas désintéressés de tout point. Parfois il lui venait à l’idée de quitter la maison, de s’en aller au loin ; mais pouvait-elle abandonner sa mère ?

Dans ces dispositions d’esprit, Reine fuyait les occasions de se trouver en présence de Capdefer. C’était une souffrance que de l’avoir en face d’elle à table, et même, étant en haut, de l’entendre aller et venir dans la boutique. Aussi, les beaux jours revenus, elle s’en allait au jardin avec son ouvrage et y passait les après-midi. Là, elle s’entretenait avec ses souvenirs et revivait par la pensée les moments heureux qu’elle y avait passés. Quelquefois ses yeux restaient obstinément fixés sur le bord des rochers d’où son amant avait surgi, la figure et les mains en sang, comme si elle eût cru le voir encore apparaître.

« Ô Yves ! Yves, où es-tu ? » murmurait-elle en baisant la bague où leurs initiales étaient entrelacées.

Lorsque le soleil descendait sous l’horizon, elle quittait, le cœur gros, ce coin libre où elle était seule en tête-à-tête avec la remémorance cruelle, et pourtant chère, de son bonheur perdu, et revenait à la maison. Là elle retrouvait Capdefer, dont la présence odieuse allait bientôt s’imposer plus lourdement encore par de nouveaux services.