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« Pourquoi n’écrit-il pas ?… Pourquoi ? pourquoi ? » se répétait-elle le jour en tirant son aiguille, et la nuit pendant ses fiévreuses insomnies. Elle cherchait une explication rassurante de ce silence et n’en trouvait aucune de plausible. Son imagination exaltée ne lui en présentait que de funestes : un accident, un malheur imprévu, la maladie… et peut-être la mort !

À Strasbourg, où il avait été envoyé, Kérado se rongeait les poings d’impatience et d’inquiétude. Il ne doutait pas de sa chère Reine, et pourtant, devant son silence obstiné, par instants sa foi fléchissait. Le démon de la jalousie lui soufflait à l’oreille que peut-être il avait un rival. Et alors il se rappelait ces paroles qui attestaient le généreux désintéressement de sa jeune maîtresse : « Je ne veux pas être un obstacle dans ta vie ! » et il les interprétait comme une acceptation résignée d’une séparation sans retour. Mais, à peine cette pensée s’était-elle formulée dans son esprit, qu’il avait honte de l’avoir conçue et la rejetait comme aussi indigne de lui qu’injurieuse pour son amie. Le doute dans lequel il vivait, inquiet et anxieux, lui était si pénible, qu’il songeait aux moyens de se renseigner indirectement. Malheureusement, de ses deux ex-commensaux, l’un, Gaudet, avait été changé de résidence deux mois auparavant, et quant au docteur Miquel, et à Toinette par ricochet, il était brouillé avec eux depuis la scène du dîner. D’un caractère froid et réservé, il ne s’était lié avec personne et n’avait pas d’amis à qui il pût s’adresser confidentiellement, ni de collègue, le poste