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l’étau, lorsque le facteur lui apporta une lettre.

— Bourgeois, dit-il à Mauret après l’avoir lue, j’ai besoin d’aller au pays pour des arrangements de famille ; le notaire me dit de venir sans retard.

— Alors, pars quand tu voudras.

— Puisque c’est ainsi, je m’en irai ce soir.

Débarrassée du souci de l’espionnage possible du Tétard, Maurette fut pleinement heureuse pendant près d’un mois que dura son absence.

Mais le retour de l’ouvrier les rendit plus prudents. Quoique Kérado lui eût caché l’agression de Capdefer pour ne pas l’inquiéter, elle sentait, à de certains indices, qu’il devait haïr celui qu’elle aimait, et elle redoutait sa surveillance jalouse. Quelquefois, la nuit, elle l’entendait marcher dans sa chambre, comme s’il restait debout pour la guetter. Dans ces occasions, elle renonçait à ses sorties nocturnes, en maudissant cet intrus gênant. Pour suppléer aux nuits ainsi perdues, outre quelques rapides entrevues au jardin, les deux amants se rencontraient à la plaine du Roy, où Maurette allait alors sur sa bourrique, sous le prétexte de quérir des sarments. Elle multipliait les occasions de voir son ami, comme si elle eût su que son bonheur serait de courte durée. Parfois elle en avait le pressentiment, et, au milieu de ses épanchements, elle disait à Kérado :

— Je suis trop heureuse ! Je crains un malheur !

— Petite peureuse ! faisait-il alors, en l’enserrant dans ses bras.