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prendre l’un de l’autre ; puis nous revînmes lentement au bourg, muets, et nous tenant la main.

Ça n’est pas d’aujourd’hui que les parents cherchent à marier leurs enfants sans les consulter ; de tout temps il en a été de même, je pense. Depuis une paire de mois, la mère de Rosette avait logé sous sa coiffe à barbes le projet de la marier avec un garçon du Champbon, riche pour un paysan, et même le plus riche du village, mais laid, falourd et ignorant comme celui qui ne sait tant seulement pas sa Croix de par Dieu. Aussi, lorsqu’elle vit la bague au doigt de sa fille, elle se fâcha fort, surtout lorsqu’elle sut qui la lui avait baillée. Pourtant elle avait de l’amitié pour moi, mais j’étais un pauvre diable sans un sol vaillant, et l’intérêt la poussait. Lorsqu’elle venait à penser que sa fille serait la reine du village et la maîtresse d’une maison pleine d’écus dans les tirettes des lingères, où toute chevance abondait, où bon an, mal an, on faisait cent charges de vin, elle ne voyait du tout plus que ça aurait été un crime de donner cette gente drole, fine comme une tourterelle, à la grosse vilaine bête qu’était celui qu’elle courtisait pour Rosette.

La petite ayant refusé de me rendre la bague comme le voulait sa mère, il y eut quelque peu de garbouil entre elles, et moi j’attrapai pour ma part une bonne bourrade en paroles, avec menaces de me faire débaucher par le bourgeois si je parlais encore à Rosette.

Je n’avais pas bien peur d’être renvoyé ; j’étais