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— Et tant mieux ! ton avenir est tout tracé. Fais-toi menuisier, comme l’Émile de Rousseau, mon garçon ! Entre en apprentissage chez Périgord-la-Vertu, et, quand tu seras compagnon, tu épouseras Rosette ! Mieux vaut un père de famille qu’un célibataire inutile, un bon menuisier qu’un mauvais religieux !

Le soir, je parlai de la chose à mon père, et dès le lendemain nous fûmes trouver dom Cluzel pour avoir son avis. L’affaire ouïe, mon parrain dit simplement :

— Si tu ne te sens pas la vocation, tu fais bien.

Et le lundi d’après j’entrai en apprentissage chez le père de Rosette.

Je mis mon tablier d’apprenti avec autant ou plus de plaisir que je n’en avais eu à vêtir ma petite robe bénédictine. Il est vrai que Rosette avait voulu le couper et le coudre elle-même :

— Porte-moi la serge ! m’avait-elle dit, je te le ferai.

Elle avait onze ans et demi alors, la petite Rosette. Mais, en ce temps-là, où il n’était pas rare de marier les filles à douze et treize ans, elles étaient plus faites à cet âge qu’une drole de quinze ans d’aujourd’hui. L’enfant, donc, déjà grandelette et formée, était gentille tout plein avec ses cheveux châtains qui faisaient des frisons partout, ses yeux bruns qui riaient toujours, son petit nez court et ses dents qui brillaient entre ses lèvres roses. Avec ça, raisonnable comme une petite femme et aidant beaucoup sa mère à tenir la maison. Malgré tout ce que j’avais lu dans