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temps en temps des digressions sur l’art de bien manger, car il était un peu bien fort porté sur sa bouche, comme on dit. À l’égard du novice qui l’avait remplacé, c’était un jeune homme gai comme un pinson, qui voyait toutes choses par leur côté plaisant, et faisait rire les autres.

Celui des pères que j’aimais le mieux après mon parrain, c’était dom La Hyerce. Il était aimable, spirituel et très poli, comme celui qui avait la société des dames. Aucun des pères n’était bigot ou intolérant, mais lui avait des idées larges et même un petit révolutionnaires pour son état. Des fois il me tenait des propos un peu bien étranges dans la bouche d’un religieux.

— Quelle diable d’idée as-tu donc de te vouloir faire moine ? — me disait-il un jour. — Ne vaudrait-il pas mieux te marier, travailler, et devenir un citoyen utile à la patrie, au lieu d’être un fainéant inutile comme moi ?

Le père La Hyerce était philosophe. Dans sa chambre il avait les ouvrages des « coryphées de l’irréligion », comme on disait alors : Voltaire, Rousseau, Montesquieu, Diderot et autres. C’est chez lui, et de son consentement, que, tandis qu’il était à musiquer avec les dames de La Faye, j’ai lu Le Compère Mathieu, les Lettres persanes, la Nouvelle Héloïse, l’Essai sur les mœurs, et le Dictionnaire philosophique.

— Surtout — me disait-il, — ne parle pas de ces lectures à ton parrain !

Frère Luc, lui, sans ratiociner là-dessus, devait