Page:Eugène Le Roy - Au pays des pierres, 1906.djvu/307

Cette page a été validée par deux contributeurs.

les jugeait sommairement. Sa sentence rendue, il adjurait les assistants d’en être bons et mémoratifs témoins au besoin.

Ça n’était pas d’ordinaire de bien grosses affaires qu’on portait à cette audience en plein air : un prunier secoué par un passant, une poule entrée dans un jardin, une chèvre écornée, des sottises dites de part et d’autre, en composaient le plus souvent le rôle verbal. Mais pour si peu importantes qu’elles fussent, ces plaids étaient, comme l’avait découvert dom Cluzel, un souvenir du vieux temps où les comtes rendaient la justice en personne ; une prérogative conservée par les anciens abbés lors de l’établissement des juges seigneuriaux, et une sorte de privilège auquel l’abbaye tenait beaucoup, et qu’elle n’avait garde de laisser prescrire.

Il y avait aussi quelquefois des causes plus intéressantes. Une fille mise à mal venait demander que son bon ami fût condamné à l’épouser par-devant Dieu et la Sainte Église, et dom Cluzel faisait comparoir le garçon et moyennait le mariage.

Une année, un homme de Laudonie vint se plaindre que le sergent de la justice abbatiale lui avait fait payer deux écus la signification d’un exploit, ce qui était une extorsion manifeste.

— Venez çà, — dit dom Cluzel en se tournant vers l’huissier, — vous avez ouï cet homme ?

— Il ment, monsieur le prieur !

— Alors, voici votre Dieu : Jurez que vous n’avez pris qu’un écu, au tarif ! — dit brusquement mon