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des charrettes, les métayers prirent le chemin de l’abbaye et le portèrent au grand vivier qui est en dessous du jardin, où on le gardait en réserve pour les jours maigres.

Et puis, le dîner étant prêt, le frère cuisinier servit sur une table pliante des brochetons frits, une carpe farcie au maigre avec la laitance, et un rôti de carême composé de deux poules d’eau. Dom Tanneguy ayant fait le signe de la croix et récité le Benedicite, les trois pères s’assirent autour de la table, tandis que le frère cuisinier et moi nous mangions debout, en nous promenant, un poisson frit sur notre pain.

Un peu à distance, notre mule et celle du Dalon broutaient l’herbe de la rive.

Le dîner terminé, les grâces dites, dom Cluzel alla prendre dans une sacoche attachée devant sa selle un filet plein de belle truffes, noires, grenues, luisantes comme le bout du nez de Turc, notre gros mâtin de l’abbaye. Lorsqu’il les présenta à dom Tanneguy, celui-ci laissa percer à travers la gravité de son visage une petite délectation sensuelle.

— Pour le saint jour de Pâques, dans un coq d’Inde, elles feront bien, mon père, dit mon parrain.

— Grand merci, mon père, pour mes religieux et pour moi, répondit dom Tanneguy. En retour, acceptez ces deux pièces de notre redevance, mises à part à votre intention.

Et alors, le frère cuisinier prit dans un baquet une énorme carpe et une belle tanche, qu’il posa sur