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soupait. Pour ce dernier repas, le frère cuisinier avait l’attention de faire des petits plats délicats, afin de ne pas surcharger l’estomac des bons pères. Maintenant, il est vrai que tous n’étaient pas toujours rentrés à l’heure. De temps en temps, dom La Hyerce soupait au château de La Faye, dom de Marnyhac à Goursat et dom Guerlot chez le notaire. Tantôt l’un, tantôt l’autre manquait ; mais, s’il advenait par extraordinaire que tous fussent absents en même temps, dom Cluzel disait au frère Luc :

— Allez-moi quérir mon filleul pour me tenir compagnie.

Et, lorsque j’étais tout petit, frère Luc me portait sur ses bras et mettait de gros livres sur la chaise pour m’élever à hauteur de la table.

Il y avait aussi dans l’abbaye un moine lai, vieux soldat estropié à Rosbach et placé là par le roi, qui servait la messe, sonnait la cloche et soignait la mule du prieur, jolie bête gris-pommelé qui allait l’amble. Dom Cluzel la montait pour faire de petits voyages et des visites aux environs. Lorsque j’étais tout jeunet, dès l’âge de quatre ou cinq ans, il m’emmenait des fois, à cheval derrière lui. Comme il était le père spirituel des dames religieuses de Fontevrault, du prieuré de Cubas, il y allait souvent. Dans la cour sablée, devant le perron, le vieux Navarre, qu’on appelait ainsi du nom de son ancien régiment, amenait la mule harnachée de sa selle de velours frappé vert et d’une bride à œillères avec boucles de cuivre à la française. Après que le prieur, housé pour chevau-