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Vois-tu, mon « drole », qu’il me disait, je suis né ici, à Tourtoirac en Périgord, le jour de la Saint-Martin de 1774, la première année du règne de Louis XVI : ça n’est pas d’hier, comme tu l’entends bien. Mon père était fermier des biens-fonds et des rentes en nature et en deniers de l’abbaye. Ma mère mourut le lendemain de ma naissance, laissant son pauvre homme bien empêché. Comme il se doulait et se complaignait fort de ce malheur, dom Gérémus Cluzel, prieur de l’abbaye, nouveau venu de quinze jours seulement, s’efforçait de le réconforter par de bonnes paroles, alléguant la volonté de Dieu, et l’assurant qu’il n’abandonnait jamais ceux qui mettaient leur confiance en lui. Finalement, pour lui donner une marque notable d’intérêt et de bon vouloir, il lui offrit d’être mon parrain, ce que mon père accepta bien volontiers, comme un grand honneur et une chose profitable. Voilà pourquoi je porte ce petit nom de Gérémus qui te semble tant étrange ; pour mondit parrain, je ne sais qui le lui avait imposé. Mais, toujours, il ne s’est pas perdu, car il y en a d’autres dans le pays.

Comme notre maison jouxtait presque le grand portail de l’abbaye, aussitôt que je fus dététiné de ma mère-nourrice et que je pus marcher, quasi tous les jours j’allais librement dans le monastère, au grand débarras et contentement de la vieille chambrière qui tenait la maison depuis la mort de ma pauvre mère. Pour mon père, il était tout le jour aux champs ou à courir pour ses affaires, et il ne rentrait