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De ce jour, Françoise ayant annoncé la nouvelle au souper, ils s’aimèrent simplement, ouvertement, sans coquetterie de la part d’Albine, sans manifestations de désirs impatients du côté de Michel. La petite prenait plaisir à voir le maître au travail, montrant son adresse et sa force. Lorsque, tenant le manche de l’araire, il poussait ses bœufs dans le sillon, elle admirait sa figure calme et sérieuse ; et le timbre de sa voix mâle la remuait profondément. Il lui semblait que, même dans les plus infimes et les plus pénibles travaux, il avait comme une sorte de dignité rustique consciente de l’importance du labeur qui fécondait la bonne terre nourricière ; sentiment du tout inconnu aux autres, qui faisaient leur tâche sans penser, à la manière des bêtes. Pour lui, il aimait à voir sa promise, six mois auparavant encore une enfant, maintenant fille faite, bien prise, à la douce figure, s’occuper des choses du ménage et des champs. Depuis que Lïou, maladif, gardait les brebis, l’Albine aidait le plus souvent Françoise à la maison, ou la suivait dans les terres pour faner, vendanger, ramasser les haricots ; et le maître se disait en lui-même qu’elle faisait tout avec une autre grâce que la Faurille et toutes les filles de par là.

Lorsqu’ils se rencontraient, ce qui était souvent, ils se jetaient au passage un regard amiteux, avec une bonne parole. Quelquefois s’il n’y avait personne en vue, Michel prenait sa future, et, tandis qu’elle riait fort, il l’élevait à bout de bras jusqu’à hauteur de ses lèvres et l’embrassait honnêtement, ainsi qu’il