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— Vous êtes malade ? demanda la ménagère.

— Oui, ma Françoise… bien malade…

— Jésus ! s’écria-t-elle en reconnaissant les yeux gris-clair levés vers les siens. — C’est toi, Michel !

— Oui… c’est moi…

— Dans quel état es-tu, pauvre !

Et se penchant pour l’embrasser :

— Tu meurs de faim, je gage ?

Il fit de la tête signe que oui.

Heureusement, la soupe est cuite ! Je vais t’en tremper… tu vas voir.

Lorsque, sans quitter le coin du feu, il eut mangé deux bonnes écuellées de soupe aux choux et fait un fort « chabrol », l’assiette pleine de vin, la vieille fille dit :

— Il ne faut pas trop manger à la fois. Maintenant, tu vas dormir… Je vais te mettre le moine pour échauffer les linceuls.

Un moment après, Michel, mis au lit, bordé pareil à un petit enfant, les courtines tirées, dormait comme une souche.

Le soir à souper, un peu remis, et bienveigné de tous, il dut raconter toutes les misères qu’il avait endurées depuis que la conscription de Napoléon l’avait pris. Oyant le récit de l’horrible guerre, et des tortures infligées aux prisonniers des pontons par les Espagnols, les parsonniers se récriaient :

— Quelles canailles c’est, ce monde-là !

— Ça n’est point les plus canailles, mes gens ! Ils défendaient leurs pays… Le grand fautif est celui qui nous mena là-bas !