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menu travail dans les terres. Le plus souvent elle revenait le soir, à l’heure du souper, mais de temps en temps elle couchait dans sa maison et ne rentrait aux Agrafeils que le second jour, à soleil entrant. Lorsque cela arrivait, les autres plaisantaient Jean :

— Savoir qui gardera ta femme cette nuit ?

— La garde qui voudra ! Je n’en suis pas jaloux.

— Avec tout ça, — reprenait quelqu’un — si elle s’en va ainsi coutumièrement, notre travail n’en ira pas mieux.

— Et dire qu’on l’avait prise pour remplacer une forte servante ! — faisait un troisième.

— Vous autres l’avez voulu ! disait alors Jean. Vous m’avez tous enragé pour me la faire prendre !

— Pas moi ! interrompait Françoise.

— Tu devrais lui remontrer, mon pauvre Jean, disait Bertrand, de ne pas s’en aller comme ça mal à propos, vu que nous lui travaillons son bien… elle n’y a que faire.

— Dites-le lui, vous autres ! moi, elle ne m’écoute brin.

Celui qui gardait l’Isabeau la nuit, c’était à ce que l’on disait à La Salvetat et par les villages d’autour la forêt, le chétif Malivert. Dès longtemps avant qu’elle se mariât, les gens l’avaient vu des fois venir à la brune, ou s’en aller à la pique du jour. Et puis, on avait remarqué que, quoique l’Isabeau ne se gênât pas bien pour mener sa chèvre et ses trois brebis en forêt, seule de tous les gens de son village elle n’avait jamais eu de procès-verbal.