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troupe allèrent couper un beau peuplier dans la prairie du seigneur, malgré les protestations du procureur fiscal. Soigneusement élagué, à la réserve d’une petite tête de branches, le mai, porté sur les épaules de quarante hommes, fut planté en face du château. Avant qu’on ne le dressât, Blaise y attacha une vieille girouette rouillée, descendue de la cime du toit de Roquejoffre où, depuis longtemps, à moitié détachée, elle ne tournait plus. D’autres y suspendirent un crible, un balai, un demi-quarton défoncé, une radoire et des plumes de poulaille, significatifs emblèmes des exactions et des abus des seigneurs terriens.

Lorsque, dressé par des bras vigoureux, le mai balança dans l’air sa tête ainsi ornée, il y eut une explosion de joie, et toute cette troupe de paysans, dont la plupart ne mangeaient pas à leur faim, dansa en chantant, une énorme farandole autour de l’arbre symbolique.

À ce moment, un cabaretier généreux roula une demi-barrique sur la place, et, après avoir arrosé l’arbre d’un verre de vin, offrit à boire à tous. Chacun ayant bu, Blaise montra du doigt la girouette fleurdelisée du château seigneurial :

— Il faut la descendre ! cria-t-il.

Aussitôt, cette foule, bruyamment joyeuse, alla réclamer la girouette, que le juge, à moitié mort de peur, laissa enlever par un couvreur, après quoi un garçonnet, grand dénicheur d’oiseaux, monta l’attacher à la cime du mai.