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Ayant pourtant un peu réussi à calmer l’effroi de tous, aidé à ce par un homme à cheval qui s’était avancé jusque près de Jaure et n’avait rien vu, Jouanny s’en alla de compagnie avec Blaise et un menuisier, son voisin. En passant, ils entrèrent dans la boutique de celui-ci :

— Vois-tu, dit alors l’arquebusier, nous aurons peut-être besoin, avant longtemps, d’être tous armés, les patriotes… ; fais des hastes de piques, moi je vais forger les fers… Vous allez bien me tirer le soufflet ? ajouta-t-il, en se tournant vers Blaise.

— Oui ! tant que vous voudrez !

Le surlendemain, jour de marché à Vern, la peur des brigands qu’on attendait de tous les côtés et qu’on n’avait vus nulle part était dissipée. Il ne restait dans l’esprit de la population que les inquiétudes beaucoup plus sérieuses de la disette qui se faisait sentir. Entre eux, artisans, ouvriers et paysans se rappelaient les paroles de Jouanny et se disaient que c’était une bêtise de laisser accaparer les blés à ces gens rapaces, qui tablaient pour s’enrichir sur la faim des pauvres. Il y eut promptement une entente tacite pour ne pas laisser sortir du pays des grains nécessaires à leur subsistance. Aussi, lorsqu’un marchand, qui avait fait de gros achats au minage, voulut enlever ses sacs sur des charrettes, il y eut une émeute soudaine. En un clin d’œil la foule se porta au-devant, résolue à empêcher l’enlèvement des blés. Les femmes criaient, les hommes menaçaient, les bâtons se levaient sur les voituriers, qui