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suivie parfois par un chat rôdeur qui craignait de s’échauder les pattes aux cailloux brûlants du pavé. Sur la place encadrée d’arcades ogivales, près de la halle aux piliers de pierre rongés par le temps, des poules vautrées dans la poussière ouvraient languissamment le bec. Dans la ceinture de ses remparts aux pierres de grand appareil roussies par le soleil des siècles, l’ancienne ville franche cuisait en silence. À peine oyait-on quelques bruits légers : les cris aigus des martinets, tombant affaiblis des hauteurs du ciel d’un bleu intense, et le susurrement des cigales collées aux troncs des tilleuls de la promenade de la Croze, qui borde les rochers à pic, à quatre cents pieds au-dessus de la Dordogne aux eaux bleues. Dans le voisinage, le ronflement d’une meule à repasser semblait la respiration de la petite ville endormie. Ce bruit venait d’une boutique de la rue du Grel, ouverte en large ogive avec un taulier et une coupée, au-dessus de laquelle était fixé, à mode d’enseigne, un énorme couteau périgordin à lame aiguë, au manche de corne rouge terminé en forme de botte.

Tandis que dans cette villette agricole, les cultivateurs faisaient la méridienne avant de retourner aux champs ou à la vigne, le coutelier, lui, travaillait, la besogne pressant, car c’était un samedi, jour de repassage des rasoirs paysans qui devaient servir à faire la barbe dominicale.

Vers deux heures, les gens sortis des maisons, des étables, des cours, s’acheminaient au travail ; la