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noués en queue sur le collet de sa gonne de cadis, découvraient un front carré sérieux. À sa moustache courte, à la propreté de son habillement d’artisan de campagne, on devinait qu’il avait été soldat. Mme Charlotte éprouvait un plaisir inexpliqué à le voir, à entendre sa voix grave, à rencontrer ses yeux où il lui semblait trouver l’expression d’une sincère sympathie.

Enfin, il se leva pour partir.

— Alors, vous nous ferez ce plaisir, n’est-ce pas ? demanda-t-il, en mettant par convenance sa sœur de moitié dans ses sentiments.

— Oui… puisque vous le voulez ! dit-elle, en lui tendant la main contre l’usage.

Il la tint un instant :

— Ma sœur sera bien contente ! Merci !

Elle l’accompagna jusqu’à la porte, et lorsqu’il eut fait ses adieux, le regarda s’éloigner d’un pas régulier et mesuré. Puis, quand sa haute taille eut disparu au tournant du chemin, elle rentra dans la cuisine.

Un instant, Mme Charlotte resta debout, les mains dans les poches de son devantal, ne sachant que faire, regardant fixement une soupière laissée sur la table, sans pouvoir démêler ses idées confuses et indécises. Puis, la pensée lui vint que Jouanny songeait à elle, peut-être… Cette idée la troubla ; elle prit sa chausse sur le buffet et se remit à sa place dans le coin de la cheminée noire. Tout en tricotant elle se remémorait ce qu’il lui avait dit, ses