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trentaine d’années entra, portant une paire de souliers sur l’épaule avec un bâton. Après avoir salué et demandé le portage, il expliqua qu’allant à Bordas voir son frère « fatigué », le voisin Filhol l’avait prié de rendre en passant cette paire de souliers pour monsieur Blaise.

Mme Charlotte, qu’on appelait ainsi du temps de sa belle-mère, pour les distinguer, prit les souliers et remercia.

— Mettez-vous un peu, Jouanny, dit-elle.

Lui, obéissant, prit une escabelle et s’assit devant le foyer, les pieds touchant presque la chatte qui n’avait pas bougé.

Ils parlèrent un moment de choses indifférentes, échangèrent de ces menus propos courants par lesquels débutent les conversations entre gens de village ; puis la veuve s’excusa de ne pas offrir à son hôte le rafraîchissement d’usage en Périgord ; mais elle n’avait pas de vin… Et, en faisant cet aveu, elle rougit un peu, confuse.

Jouanny protesta qu’il n’avait pas soif ni faim, venant seulement de dîner… Il était embarrassé de la voir ainsi ; cette pauvreté lui faisait compassion, semblait-il. Mais, outre cela, il paraissait avoir quelque chose qu’il n’osait dire ; il tapait de petits coups de son bâton sur ses hautes guêtres de cuir et regardait dans la cheminée, la laque armoriée devant laquelle gisaient sur des cendres deux tisons à demi éteints. Enfin il se décida et tira de sa poche un couteau à manche de corne rougeâtre.