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Et comme dans son égoïsme féroce il insistait toujours :

— C’est ma vie que tu demandes… ajouta-t-elle, à bout de forces.

Le matin, à l’aube, Kérado, mécontent de lui, s’en alla tristement après des adieux désespérés, laissant Reine écrasée de douleur. Pendant cette longue nuit de larmes et de baisers empoisonnés par la présence invisible du Tétard, elle avait appris toute l’étendue de son malheur. Par les lettres interceptées, son amant la suppliait de venir le rejoindre, en attendant que ses affaires de famille lui permissent de l’épouser. Ne recevant aucune réponse, après quatre ans de regrets et de chagrin, il s’était marié… et maintenant se rendait à Tonneins, où il avait été nommé.

Ainsi, même cette espérance obscure et vague, qui parfois persiste contre toute raison, s’évanouissait. Cette fois, c’était bien fini : ils étaient séparés pour toujours. À cette heure, elle regrettait de l’avoir revu, en comparant ce qui aurait pu être et ce qui était. Cruel crève-cœur, rendu plus amer encore par l’obligation de subir son odieux mari :

— Ah ! Kérado ! Kérado ! pourquoi es-tu revenu ? murmurait-elle.

Puis, le remords torturait cette nature droite et loyale. Elle se reprochait d’avoir failli à son honneur de femme, à sa parole d’épouse, et c’était pour elle une horrible souffrance que de se sentir coupable envers un homme qu’elle haïssait. « Il avait quelque chose à lui pardonner ! » intolérable pensée qui la poignait.