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v. delbos. — husserl.

abstrait et compliqué, de ces études qu’il faudrait entrer pour saisir, en ce qu’elle a de plus propre, la direction de la pensée de Husserl : les limites aussi bien que le caractère de cette exposition ne permettent pas, aujourd’hui, un tel effort. Disons cependant en quelques mots ce que Husserl entend par la phénoménologie : elle est une description et une analyse de ces événements qui sont la représentation, le jugement, la connaissance ; elle doit occuper un domaine neutre entre la psychologie, qui vise l’explication causale et génétique de ces événements, et la logique pure, qui s’occupe des lois idéales ; mais elle s’applique surtout à suivre et à analyser les opérations qui permettent à ces lois d’être posées.

Mais voici où se marque bien la tendance de Husserl dans la constitution de cette phénoménologie. C’est sans doute sous l’influence de « psychologistes », de Hume, de Stuart Mill, de Brentano qu’il en a conçu l’idée ; mais s’il a eu par là le souci de mettre à la base de son rationalisme une sorte de positivisme, il n’en a pas moins conçu la phénoménologie, telle qu’il l’a pratiquée, dans le sens des exigences de la logique pure. Il ne cherche pas en effet à décrire des faits empiriques, tels qu’en pourrait comprendre une psychologie humaine ou animale ; il cherche à atteindre l’essence de certaines opérations de conscience, les nécessités idéales qui sont inhérentes à la perception, à l’imagination, à l’acte de signifier ou de juger. Il s’applique à démêler dans ces événements, dans la représentation par exemple, les actes en vertu desquels quelque chose est posé dans la conscience, et d’autre part l’intention, au sens scolastique du terme, par laquelle ces positions se réalisent, se singularisent dans des états particuliers. La primauté des éléments abstraits sur les éléments concrets qui les figurent : tel est donc l’esprit des analyses phénoménologiques de Husserl, et il faut convenir qu’il en a été parfois heureusement inspiré, par exemple, dans la critique très serrée qu’il a faite du nominalisme moderne, des théories de Berkeley et de Hume sur les idées générales abstraites. Mais on peut se demander parfois avec inquiétude si cette phénoménologie n’est pas portée à violer la neutralité promise, si, légitime sans doute dans son principe, elle ne tend pas çà et là à se substituer à la psychologie même, de telle sorte qu’elle aspirerait, suivant une observation de Wundt[1], après avoir exclu le

  1. Wundt, Kleine Schriflen, I, p. 580.