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REVUE DE MÉTAPHYSIQUE ET DE MORALE.

Savons-nous, d’avance, jusqu’où va la raison ? En pouvons-nous, a priori, déterminer, dénombrer, délimiter les catégories ? Sommes-nous en mesure de constituer une juste théorie de la raison, de sa nature et de sa portée, en considérant simplement cette faculté en elle-même, et en faisant abstraction du travail qu’elle accomplit, dans son commerce avec les réalités, avec la vie, pour saisir ces objets et pour les comprendre ?

Descartes ne tenait pas la raison humaine pour une chose toute faite en nous, dont nous n’aurions qu’à nous servir comme d’un outil. Il prescrivait à l’homme, comme tâche essentielle, de cultiver sa raison, c’est-à-dire de la développer, de la rendre souple, large, droite et ferme, de telle sorte qu’elle puisse juger sainement tous les objets, quels qu’ils soient, qui s’offrent à elle. Et il ajoutait que, pour cultiver sa raison, il est nécessaire de nourrir son esprit des connaissances que nous fournissent et les sciences et l’expérience de la vie. Malebranche ajoute la religion, comme la forme par excellence de la vie morale. En cela il a suivi la méthode de Descartes jusqu’au bout. Il s’est proposé, comme Pascal, d’égaler son esprit aux choses, et non de mesurer les choses à la capacité de son esprit.

Émile Boutroux.