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REVUE DE MÉTAPHYSIQUE ET DE MORALE.

Des causes conçues comme simples antécédents constants, non comme puissances génératrices et créatrices : telle est la thèse de Malebranche. On ne saurait la confondre avec celle du miracle continuel et de la volonté arbitraire.

En ce sens, nos sensations, bien qu’elles ne nous instruisent, à aucun degré, de la nature intrinsèque des êtres, nous fournissent néanmoins de véritables connaissances. Car elles nous informent des choses qui sont utiles à la conservation de notre vie. Dieu, en effet, c’est-à-dire l’ordre, veut que les lois de l’union de l’âme et du corps soient très simples, partant très générales ; et ainsi l’avertissement que nous donnent nos sens touchant le caractère utile ou nuisible des objets à notre égard, est assez sûr pour que nous n’ayons besoin qu’exceptionnellement de le rectifier ou d’y suppléer par l’usage de notre raison. D’une manière générale, les jugements naturels que nous formons d’après la dictée de nos sens représentent fidèlement les lois de la nature.

L’expérience est, ainsi, pour la connaissance des choses matérielles, une source légitime et nécessaire d’information ; et la science physique n’est autre chose que l’effort de l’intelligence pour accorder la certitude de l’expérience avec l’évidence de la raison[1].

Ce n’est pas tout. La raison elle-même va au-devant de l’expérience, et démontre la réalité et la valeur de ces lois qui, dans la nature, limitent à des effets particuliers l’universel mécanisme mathématique. On a cru à tort, selon Malebranche, que l’emploi des principes mécaniques en physique excluait les causes finales. Si le monde se conserve par la seule action mécanique de ses parties les unes sur les autres, c’est qu’il a été construit par un architecte qui prévoyait la série infinie des effets de toute cause donnée. Le Créateur a employé les voies les plus simples et les plus sûres pour parvenir à son but. Il a, en outre, dans les êtres vivants, tellement ajusté l’infinité de parties dont ils se composent, qu’ils puissent, indéfiniment, produire des êtres semblables à eux. Si donc la nature n’est pas, elle-même, puissance et sagesse, elle témoigne de l’union de la sagesse et de la puissance avec l’entendement géométrique dans le principe créateur qui la fait être et se conserver.

La considération des lois naturelles ainsi établies par Dieu dans le monde des choses contingentes est particulièrement indispensable

  1. Entretiens sur la Métaphysique, XIV, 4.