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V. DELBOS. — MALEBRANCHE ET MAINE DE BIRAN.

serve arbitrairement de patron, dans une action de notre moi qui en découvre le caractère authentique autant qu’original. Ainsi s’explique, mieux que par l’inintelligibilité de notre substance, la part d’obscurité que Malebranche rencontre en nous. Nous ne voyons que ténèbres dans nos sensations et nos passions : c’est que ce sont là des modifications de notre sensibilité que nous ne produisons pas ; au contraire, ce que nous produisons par notre effort volontaire nous est immédiatement clair et se rattache à notre moi par le rapport le plus défini et le plus certain[1]. Si donc Malebranche n’eût pas à tort borné la portée de ce qu’il appelle la connaissance par sentiment intérieur, après l’avoir si heureusement distinguée de la connaissance par idées, il eût admis la causalité du sujet humain pour les mêmes raisons qui lui ont fait admettre la liberté.

Le système de Malebranche n’eût pu naturellement admettre ce développement de certaines de ses vues sans se transformer entièrement. Il n’en contribue pas moins à poser, avec d’autres motifs d’inspiration et d’autres tendances que le système de Maine de Biran, le problème des rapports de la pensée rationnelle et de la conscience. Les deux systèmes peuvent là-dessus se spécifier l’un à l’égard de l’autre par la façon dont ils se comportent l’un et l’autre vis-à-vis du Cogito cartésien. Descartes faisait de l’attribution au sujet la condition la plus générale de toute connaissance, et ce n’était, pour ainsi dire, que postérieurement qu’il distinguait dans les idées celles qui ne sont que des modifications du sujet, que de simples états de conscience, et celles qui représentent des perfections ou des réalités hors du sujet, celles principalement qui se rapportent à d’immuables et éternelles natures. Or, dans sa légitime préoccupation d’expliquer avant tout la relation de notre esprit à la vérité, Malebranche a passé rapidement sur ce qu’on peut appeler le sens subjectif du Cogito ; ou plutôt il n’en a guère dévoilé le sens subjectif que pour l’entendre négativement et pour définir par opposition, dans toute sa rigueur et dans tout son sens, le problème de l’objectivité de la connaissance : peut-être, parmi les rationalistes modernes, est-il celui qui avant Kant a compris dans les

  1. Notes sur Malebranche, Rev. de Mét. et de Mor., 1906, p. 462.