Page:Etudes de métaphysique et de morale, 1916.djvu/166

Cette page a été validée par deux contributeurs.
154
REVUE DE MÉTAPHYSIQUE ET DE MORALE.

l’habitude entre l’énergie de son vœu et l’événement qui arrive à point nommé, il sait bien qu’il y a là simple succession ou concomitance. Et d’un autre côté, d’où l’être agissant tiendrait-il le sentiment de sa puissance motrice volontaire, si tout le développement de ses états internes était réglé par un simple parallélisme avec la série des états externes, particulièrement de ses états organiques ? Comment la conscience d’être ce que l’on est ou de devenir ce que l’on devient se convertirait-elle en la conscience de faire ce que l’on fait et de le faire volontairement ? Rien ne doit prévaloir contre la dualité que manifeste le sens intérieur entre la passivité et l’activité, entre l’inclination du désir et l’effort volontaire[1].

C’est donc à la conscience qu’il revient de discerner ce qui est propre au moi et ce qui lui est étranger. On n’est jamais autorisé à frapper de suspicion le discernement qu’elle opère. Nous ne pouvons, reconnaît Malebranche, nous empêcher d’attribuer au corps ce que l’âme sent. Et pourtant Malebranche considère les qualités sensibles comme de simples modifications de l’âme. Pour expliquer dès lors qu’il puisse y avoir des êtres autres que nous, il en vient à supposer des idées, véritables objets que l’âme perçoit hors d’elle, comme nettement distincts de ses modalités. Certes il a eu raison de soutenir que nulle intuition objective ne saurait être considérée comme un simple mode du sujet, et en cela il a eu une vue de la vérité beaucoup plus profonde que son grand adversaire Arnauld, qui conférait à l’âme, pour sa seule qualité d’être pensant, la faculté de saisir directement les choses extérieures à elle. Mais la faute commune des deux philosophes a été de faire abstraction de l’activité originale du moi, et par laquelle le moi, dans l’effort, se distingue de l’objet résistant auquel il s’applique. Par là seulement un objet

  1. Essai sur les Fondements de la Psychologie, Ed. Naville, t. I, p. 283-298. — Nouveaux Essais d’Anthropologie, Ibid., t. III, p. 501-514. — L’idée d’existence, Ed. Tisserand, p. 55-58 ; 63-65. — Note sur certains passages de Malebranche et de Bossuet, Ed. Cousin, t. III, p. 327-337. — Six Manuscrits inédits de Maine de Biran, publiés par Tiserand, Revue de Métaphysique et de Morale, 1906, p. 461-469. — « Maintenant il est vrai que le désir n’a rien d’actif et est par lui-même inefficace. Malebranche et les cartésiens triomphent sous ce rapport, et si toutes nos facultés actives se réduisent au désir, il est vrai de dire que nous ne faisons rien, que nous ne pouvons rien par nous-mêmes, que toute force, toute cause efficiente n’est que Dieu même qui seul opère par le vouloir soit primitif soit continu et répété. Mais comment pouvons-nous avoir l’idée d’une force qui opère par le vouloir, s’il n’y a en nous aucun type de ce vouloir efficace, si même la force qui remue notre corps à volonté n’est pas nôtre : ici les causes occasionnelles et l’harmonie préétablie sont en défaut. » Inédit, Fonds Naville à la Bibliothèque de l’Institut, MSS-N.S, cxxxvi.