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V. DELBOS. — MALEBRANCHE ET MAINE DE BIRAN.

non la cause véritable. Une cause qui ignore comment elle fait ce qu’elle fait n’est pas une véritable cause. Pour être la véritable cause du mouvement de notre bras, nous devrions connaître la totalité des conditions organiques qui permettent à ce mouvement de s’accomplir. Or les hommes remuent leurs bras sans savoir s’ils ont des esprits animaux, des nerfs, des muscles, etc.… On allègue, il est vrai, que pour remuer le bras il ne suffit pas de le vouloir, qu’il faut encore faire effort, et l’on imagine que cet effort, dont on a le sentiment intérieur, est la cause véritable du mouvement qui le suit, parce que ce mouvement est énergique et violent à proportion de la grandeur de l’effort. Mais il y a là une illusion. Autre chose est effort, autre chose est efficace. Nos efforts sont le signe d’une impuissance, non la preuve d’une puissance ; ils ne diffèrent de nos autres volontés pratiques que par les sentiments pénibles qui les accompagnent ; ils ont lieu quand il y a très peu d’esprits animaux dans les corps ou quand les chairs des muscles sont incommodées par le travail. La prétendue influence de l’âme sur le corps comme du corps sur l’âme se ramène donc à une correspondance réciproque de leurs modalités[1].

Ainsi Malebranche paraît avoir en quelque sorte infirmé d’avance la portée et jusqu’à la réalité du fait que Maine de Biran qualifiera de fait primitif et qu’il érigera en principe de sa doctrine. Il n’est donc point surprenant que Maine de Biran se soit directement et sous diverses formes attaqué au système des causes occasionnelles. C’est Descartes avant tout qu’il tient pour l’auteur responsable du système. Dominé, en effet, par la notion de substance, Descartes a été empêché par là de saisir la forme concrète sous laquelle l’esprit opère son union avec le corps tout en s’en distinguant ; il n’a donc pu envisager que leur distinction, et il a dû la pousser jusqu’à la séparation extrême, jusqu’à l’impossibilité de toute communication. À ce point de vue, les états des esprits comme les propriétés des corps ne peuvent être que des modifications de natures toutes données : ce qui fait disparaître de ces natures toute activité propre, ce qui oblige par conséquent à transporter en Dieu, par delà ces natures, et en Dieu seul, la causalité efficiente vraiment productrice[2].

  1. Recherche de la Vérité, VI, partie II, ch. iii ; Xe Éclaircissement ; XVe Éclaircissement. — Conversations chrétiennes, I et II. — Méditations chrétiennes, V, VI, IX, XII. — Entretiens sur la Métaphysique, VII. — Réflexions sur la prémotion physique. — Etc.
  2. De la Décomposition de la pensée, Œuvres philosophiques de Maine de Biran publiées par Victor Cousin, t. II, p. 43. — Nouvelles Considérations sur les rap-