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REVUE DE MÉTAPHYSIQUE ET DE MORALE.

qu’on désigne sous le nom de cause naturelle n’est point une cause réelle et véritable, mais simplement, si l’on tient à garder le nom, une cause occasionnelle, qui détermine Dieu, en conséquence de lois générales, à manifester de telle façon son action, seule efficace.

Une cause véritable implique une dépendance nécessaire de son effet par rapport à elle. Selon cette exigence, les corps ne peuvent évidemment pas être des causes ; car leur essence est dans l’étendue, et dans l’étendue seule. Or de l’étendue peut se déduire une capacité passive, non une capacité active de mouvement. La matière est donc essentiellement mobile ; mais elle ne peut ni s’imprimer à elle-même, ni communiquer d’elle-même le mouvement qu’elle a. Lorsqu’une boule qui se remue en rencontre et en meut une autre, elle ne saurait lui transmettre ce qu’elle ne possède pas, c’est-à-dire une force mouvante ; la rencontre des deux boules est seulement une cause occasionnelle de la distribution de leur mouvement.

Que l’on considère pareillement ce que sont des esprits finis. Leur nature suppose certes qu’ils peuvent sentir, connaître, vouloir, mais non qu’ils le peuvent par eux-mêmes. La puissance que comportent ces modifications implique soit une infinité dans l’objet, soit une universelle intelligence de l’ordre des choses : ce dont les esprits finis sont incapables. Donc, que l’attention soit dite cause de nos idées, que les choses qui nous frappent et le cours des esprits animaux soient dits causes de nos sentiments, que les biens particuliers soient dits causes de nos volontés : ce ne sont jamais là que des causes occasionnelles. Les esprits finis ne peuvent rien sentir, si Dieu ne les affecte ; rien connaître, si Dieu ne les éclaire ; rien vouloir, si Dieu ne les meut vers le Bien général, c’est-à-dire vers Lui.

Impuissants à agir par eux-mêmes sur eux-mêmes respectivement, les corps et les esprits ne sauraient agir davantage les uns sur les autres ; et quand on parle d’une action des corps sur les esprits ou des esprits sur les corps en vertu d’une puissance qui résulte de leur union, on abandonne le principe des idées claires. À coup sûr un ébranlement imprimé au cerveau est suivi de sensation dans l’âme ; mais on ne doit pas croire que ce qui précède un effet en soit la véritable cause. Il est inintelligible qu’une modification cérébrale puisse produire un sentiment. De même la volonté des esprits finis n’est pas capable de mouvoir le plus petit corps qu’il y ait au monde. Notre bras se remue sans doute quand nous le voulons ; mais de ce mouvement nous ne sommes que la cause naturelle ou occasionnelle,