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société unanimement occupées à pourvoir à leurs besoins communs par la chasse et la pêche. Quand il sera parvenu à se faire écouter par des conseils utiles, comme le font les vieillards et les plus expérimentés de cette nation, il se gardera bien d’employer son crédit à leur persuader de partager entre chaque famille, leurs contrées de chasse et de pêche, crainte de rompre leur concorde. Ce sage leur apprendra seulement, qu’outre ces moyens de subsister, qui peuvent souvent leur manquer, il en est de plus sûrs et de moins pénibles, tels que la culture des terres, l’entretien des troupeaux ; il leur fera voir que ce seront autant de nouvelles ressources, de nouvelles commodités qui suppléeront au défaut les unes des autres ; il leur enseignera les arts nécessaires à l’exécution de ces projets.

Ce peuple devenu, par ses soins, moins grossier, plus industrieux, en deviendra-t-il plus méchant, moins laborieux ? non, sûrement. La concorde et l’union que le réformateur aura trouvé régner entre les familles, le respect pour les vieillards, pour les plus intelligents, les plus adroits, croîtront à proportion, et des succès de l’unanimité, et des connaissances de l’utilité de nouveaux expédients. La déférence de ces Indiens aux conseils des plus prudents, est plus soumise que notre obéissance aux ordres de nos maîtres despotiques. Le point d’honneur qui subsiste encore chez les sauvages voisins de nos colonies, est de ne se croire grand qu’à proportion qu’on est utile à ses compagnons ; en un mot, dans ces contrées, on ne devient respectable que par des services[1]. Toutes ces véritables vertus, loin de s’affaiblir par les dispositions du

  1. Une personne digne de foi, récemment de retour d’Amérique, m’a fait le récit de quelques traits admirables de l’humanité de ces peuples, soit envers les leurs, soit envers les nôtres ; les exemples en sont fréquents, et ils peuvent bien nous nommer sauvages. La même personne me disait que ces nations, quoique nos alliées, méprisent les bizarreries de nos usages, de nos coutumes, de nos mœurs ; qu’elles s’éloignent à mesure que nous avançons dans les terres. Ils ont raison ; mais quelle innocence le mauvais exemple ne corrompt-il pas ?