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terait ; et la facilité d’y pourvoir n’aurait pas besoin de lumières supérieures à l’instinct de la brute ; il n’aurait pas été plus sociable qu’elle.

Ce n’était point là les intentions de la suprême sagesse ; elle voulait faire de l’espèce humaine un tout intelligent, qui s’arrangeât lui-même par un mécanisme aussi simple que merveilleux ; ses parties étaient préparées, et, pour ainsi dire, taillées pour former le plus bel assemblage ; quelques légers obstacles devaient moins s’opposer à leur tendance, que les exciter fortement à l’union : séparément faibles, délicates et sensibles ; des désirs, des inquiétudes causés par la distance momentanée d’un objet propre à les satisfaire, devaient augmenter cette espèce d’attraction morale.

Que devait-il résulter de la tension de ces ressorts ? Deux effets admirables ; savoir : 1o une affection bienfaisante pour tout ce qui soulage ou secourt notre faiblesse ; 2o le développement de la raison, que la nature a mise à côté de cette faiblesse pour la seconder.

De ces deux sources fécondes devaient encore couler l’esprit et les motifs de sociabilité, une industrie, une prévoyance unanime ; enfin, toutes les idées, les connaissances directement relatives à ce bonheur commun. On peut donc dire avec Sénèque : Quidquid nos meliores beatosque facturum est, natura in aperto aut in proximo posuit.

C’est donc précisément dans ces vues que la nature a distribué les forces de l’humanité entière, avec différentes proportions entre tous les individus de l’espèce ; mais elle leur a indivisiblement laissé la propriété du champ producteur de ses dons à tous et un chacun l’usage de ses libéralités. Le monde est une table suffisamment garnie pour tous les convives, dont tous les mets appartiennent, tantôt à tous, parce que tous ont faim, tantôt