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Erreurs invétérées de la morale vulgaire ; difficultés d’en percer
les ténèbres et la multitude.

Il est surprenant, pour ne pas dire prodigieux, de voir combien notre morale, à peu près la même chez toutes les nations, nous débite d’absurdités sous le nom de principes et de maximes incontestables. Cette science, qui devrait être aussi simple, aussi évidente, dans ses premiers axiomes et leurs conséquences, que les mathématiques elles-mêmes, est défigurée par tant d’idées vagues et compliquées, par tant d’opinions qui supposent toujours le faux, qu’il semble presque impossible à l’esprit humain de sortir de ce chaos : il s’accoutume à se persuader ce qu’il n’a pas la force d’examiner. En effet, il est des millions de propositions qui passent pour certaines, d’après lesquelles on argumente éternellement ; voilà les préjugés. Je les compare à ces dissertations que font les antiquaires sur de fausses médailles. Si l’on est étonné que ces savants s’en soient laissé imposer par quelque fondeur, le sage ne l’est pas moins de voir les hommes assujettis depuis tant de siècles à des erreurs qui sans cesse troublent leur repos. La raison générale de cet aveuglement, de sa durée et de la difficulté d’en guérir, c’est que la vérité est une mesure si fine, si précise et si déliée, que, de la moindre quantité qu’on la manque, cet écart, infiniment petit à son origine et presque imperceptible, croit avec une rapidité et dans une progression beaucoup plus énorme qu’aucune erreur de calcul ; mais avec cette fâcheuse différence que, plus on se trompe, moins on croit se tromper : si l’on vient à le reconnaître, alors l’étendue de ce dédale, ses énormes détours effraient, étourdissent ; on ne peut ou on n’ose en chercher les issues.