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philosophes qui ont raisonné sur les questions sociales et politiques. Les plus anciens traités de philosophie morale, écrits en latin, définissent ainsi, d’après saint Thomas, qu’ils suivent presque toujours, la justice et l’égalité : « Justicia distributiva est quae bonum commune distribuit secundum proportionalitatem ; in qua non attenditur æquale secundum æqualitatem rei ad rem, sed secundum proportionem rerum ad personas » (Pars quarta, Phil. sive Ethica). On voit donc qu’il ne s’agit pas de donner des tâches et des rations égales à des forces et des besoins inégaux, mais de proportionner les travaux aux forces, la consommation aux besoins.

Il y a au contraire communauté (et certes on n’a pas besoin d’avoir lu Morelly, Mably ou 0wen, pour comprendre ceci) là où les individus jouissent en commun de certains objets en se conformant à des règles égales pour tous. Nous ne citerons pas toutes les sociétés littéraires, scientifiques ou industrielles, organisées sur ce pied là. Pour ignorer ce qu’on entend par usage commun des productions, il faudrait n’avoir jamais pénétré dans une famille, ne s’être jamais assis à une table d’hôte, ne s’être jamais servi d’objets possédés en commun, soit livres, soit journaux ; en un mot il faudrait n’avoir pas vécu.

La jouissance en commun des productions n’est donc pas un fait nouveau ; puisqu’elle est admise aujourd’hui même dans bien des cas particuliers, et que chaque famille peut profiter de toutes les économies que procure la vie en commun, au moins pendant tout le temps que le patrimoine reste indivis. C’est même en dérogeant au principe d’appropriation individuelle, que la civilisation se soutient encore et n’épuise pas complètement ses ressources. Si chacun de nous voulait user de tout d’une manière absolument exclusive, il en résulterait, pour le plus grand nombre, des privations si intolérables, que l’état social se-