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à peine pour elle seule, prièrent l’animal qui venait d’hériter de trois portions de leur en céder au moins deux pour les garantir de mourir de faim. « Je ne suis point cause de votre indigence, » leur répondit celui auquel ils s’adressaient ; « les partages ont été faits avant que nous fussions nés, et il faut que les choses demeurent comme elles ont été réglées par nos pères ; pourvoyez-vous comme il vous plaira, je ne prétends point que vous veniez paître sur ce terrain qui m’est échu : s’il m’est plus que suffisant à présent, je le réserve pour mes enfants. » Cette impitoyable cruauté fit périr de faim cette race nombreuse qui demandait quelques secours ; ce mauvais exemple devint fréquent : on vit donc bientôt la famine, au sein même de l’abondance, obliger les plus forts à dévorer les plus faibles ; on fit des règlements pour réprimer ces désordres, ils diminuèrent le mal, mais ils n’en ôtèrent pas la cause : ceux des animaux qui étaient devenus voraces par nécessité restèrent tels par habitude.

Il en doit être de même chez les peuples où règne la dure, l’insensible propriété ; elle est la mère de tous les crimes, enfants du désespoir et d’une indigence furieuse. Les législateurs punissent souvent le malheureux et épargnent le coupable ; leurs lois chétives ne font que pallier les maux : elles châtient des actions perverses, elles ignorent les moyens de les rendre impossibles. Elles devraient être faites pour empêcher d’imprudentes conventions, causes de l’inconstance de la volonté ; mais, imprudentes elles-mêmes, ou elles en aggravent le joug, ou elles lui imposent de nouvelles obligations. Souvent, pour appuyer leur faible autorité, il faut qu’elles changent en crimes des actions innocentes.

Je vous le répète encore, et peut-on trop souvent le redire ? Les lois éternelles de l’univers sont que rien n’est à l’homme en particulier que ce qu’exigent ses besoins